Guildo amena son prisonnier sur un balcon. En contrebas s’étendait l’un des camps de l’armée des ténèbres dont le maître de guerre avait la responsabilité. Il était construit dans une pierre foncée dont la teinte variait du gris au noir absolu sans le moindre ornement ou décoration de couleur. Le prisonnier s’aperçu qu’il n’y avait pas le moindre bâtiment indépendant. Tout semblait connecté comme s’il ne s’agissait que d’un seul édifice entrecoupé de rues et de canaux avec des centaines d’ouvertures. Tout paraissait exister sur trois ou quatre niveaux et les milliers de torches qui éclairaient le camps fournissaient une lumière constamment vacillante. Tout autour, un imposant rempart avait un très large chemin de ronde qui permettait la circulation d’attelages tirés par des chevaux. Le balcon sur lequel ils étaient surplombait une porte massive qui s’ouvrait sur un tunnel passant sous le rempart et accédant à une immense cour.
Le prisonnier vit que l’on fermait les portes pour la nuit. Tous ceux qui se trouvaient à l’extérieur se hâtèrent de rentrer, mais aucun effort ne fût fait pour les aider. La porte se referma dans un bruit de tonnerre comme si un volcan s’était soudain réveillé.
-Tenez, observez dit Guildo en désignant la route.
Un titan chevauchait à toute vitesse en direction de la porte. Il semblait paniqué.
- Que se passe-t-il ? dit le prisonnier
- Il s’agit d’une espèce de couvre-feu. Personne ne peut sortir du camps après la fermeture des portes.
- Nos garnisons sont pourtant loin d’ici…
- Certes, mais il existe cependant des dangers lorsque vous vous rapprochez de la faille de Nephinth. La nature est hostile…
Le titan s’arrêta devant la porte et adressa des cris hystériques à ceux qui se trouvaient sur le rempart. Tous ceux qui empruntaient le chemin de ronde au dessus s’arrêtèrent pour regarder en contrebas et des conversations se nouèrent ici et là. D’autres personnes accoururent pour observer le titan qui s’agitait frénétiquement, puis un hurlement retentit au sein des ténèbres, un hurlement qui glaça le sang du prisonnier.
- C’est quoi ça ?
- Des prédateurs…
Des créatures jaillirent des ténèbres et traversèrent le paysage obscure. Elles étaient si rapide qu’on avait du mal à distinguer leur forme. Lorsqu’elles arrivèrent près du rempart, la lumière des torches se refléta sur leur carapace. Stupéfait, le prisonnier resta bouche bée.
Il s’agissait de scorpions géants dont chaque partie du corps, chaque articulation était dotée de pics et de tranchants affutés comme des lames de rasoir.
Trois d’entre eux se jetèrent sur le cheval à terre en l’espace de quelques secondes seulement. Deux de leurs congénères se ruèrent sur le titan. L’un arracha la tête, quelques instant plus tard, avant que le corps ait le temps de s’effondrer, l’autre projeta son dard sur le torse et le coupa en deux.
- Pourquoi est-ce que personne ne l’a aidé ? s’enquit le prisonnier.
- Selon nos propres règles, l’aide est une affaire de convenances. Quelqu’un de sa famille aurait peut-être essayé de lui lancer une corde. Un amis lui aurait peut-être promis de dire au revoir pour lui à sa compagne et une connaissance aurait attendu qu’il soit mort pour rire du massacre.
Le prisonnier s’aperçut alors qu’effectivement, tout le monde riait sur le rempart.
- Vous trouvez ça drôle ?
- Oh je peux comprendre que vous soyez choqué par un tel spectacle compte tenu de vos croyances mais comme je vous le disais, tout est affaire de conventions. Nos règles sont différentes des vôtres. L’horreur nous fait rire en effet et le spectacle de la douleur et de la souffrance est un amusement. Vous savez j’ai déjà vu cela parmi la foule de Randol devant un bucher mais la différence c’est qu’ici nous ne nous cachons pas pour rire. Nous sommes décomplexés en quelque sorte. Ici la souffrance est un divertissement. On expurge les faibles du corps collectif, on exploite la douleur. La faiblesse fait de vous une victime, le pouvoir vous désigne comme étant apte à exploiter les autres. Tout est affaire de négociations entre des gens qui ont a peu près la même puissance. Si vous êtes plus fort qu’un autre vous prenez ce que vous voulez, si vous êtes plus faible, vous vous trouvez un protecteur et vous lui rendez des services en échange. Ici, le meurtre est un passe-temps, et l’on ne connaît pas la charité, on ne l’imagine même pas d’ailleurs. Si un autre laisse son enfant sans surveillance, vous le tuez pour empêcher qu’un jour il ne devienne une menace pour le votre. Et vous prenez soin de votre enfant, en cultivant en lui le sens du devoir et de la loyauté pour éviter qu’un jour, quand vous serez trop vieux, il ne vous jette à la rue parce que vous ne lui serez plus d’aucune utilité.
Ici, vous obtenez du pouvoir grâce à la loyauté que vous inspirez, à votre force ou votre magie et grâce au patronage d’Eres qui est le plus impitoyable de tout les êtres de l’univers.
- C’est ça le nouvel ordre que vous voulez instaurer ? Un monde qui ne protège pas les faibles et les innocents, un monde qui ne respecte pas la vie !
Guildo fixa les scorpions qui terminaient de se repaître des cadavres de leurs victimes.
- La nature se soucie t elle d’épargner les faibles ? A force de les protéger ils finissent par être de plus en plus nombreux. Vous obtenez alors une société peuplée de gueux et décadente comme la votre qui finit inexorablement par s’éteindre d’elle même. Toutefois nous n’allons pas attendre que le royaume s’effondre tout seul même si les plans que m’ont fait parvenir mes agents, m’obligent à convaincre mes collègues de repousser notre attaque.
Le maître de guerre réalisa qu’il fallait ouvrir la faille dimensionnelle pour permettre à de nouvelles créatures de franchir le pont qui reliait Nephinth à Iris. Les rangs de l’armée des ténèbres devaient être renforcés si l’on voulait prendre un avantage sur les troupes du royaume. L’opération nécessiterai de puiser une énergie colossale dans la vacuité. Sans l’intervention d’Eres cela semblait impossible, à moins que…
- Si vous voulez bien m’excuser, je dois mettre un terme à notre entretien dit Guildo en faisant basculer le prisonnier par dessus le balcon. Cette petite conversation philosophique à bâton rompu était fort agréable mais j’ai une missive urgente à envoyer à Tigra.
Guildo se dirigea vers son bureau en souhaitant mentalement bonne chance à son prisonnier avec les scorpions, si Apollon était clément l’homme mourrait en s’écrasant au sol…